Têtes Brûlées

Concilier mélodies et énergie est un exercice délicat par excellence qui tient avant tout dans un savant dosage. Dans ce domaine on peut dire que les Têtes Brûlées sont les plus sérieux espoirs…

L'auteur de l'article  Eric T. Lurickclassé dans Groupes de lecture
Les Têtes Brûlées au Salon Cibeles à Barcelone
Photo : collection personelle

Au mitan des années 70, que faire de mieux à Strasbourg quand on à dix-huit ans à part monter un groupe de rock ? Raphaël Michot et Didier Poux fomentent R.A.F. alors qu’ils en sont encore au stade de l’apprentissage des premiers accords.

Consommer des substances illicites dans l’appartement que Didier partage en colocation place de la Bourse avec une vraie cour des miracle assise autour de son amplificateur trois corps Manhattan est pour un temps la principale occupation.

À quelques jours d’intervalle, Raphaël est recruté par les Blankets et Didier par Bismuss. Quand ils finissent par s’avouer qu’ils lâchent l’affaire R.A.F., ils se rendent aussi compte que leurs groupes respectifs répètent au même endroit : le caveau de La Ville de Paris !

Quatre ans plus tard Bismuss est devenu Flash Gordon et les Blankets les . Ces derniers sont Raphaël Michot au chant et à la guitare, Christian Schall à la basse et Jean-François Lorenzi à la batterie. Clairement, ce sont les Horsex sans leur chanteuse.

Ne pas renouveler les errances du passé, tel est leur credo  : Vers la fin, la musique des Horsex n’avait plus grand chose à voir avec les trucs du début. En tentant de faire des chansons, on avait viré pop mais, surtout, le tempo avait très sérieusement ralenti.

Le groupe travaille sur les nouvelles chansons de Raphaël et conjugue vite le brasero rock à la séduction pop. Leur musique est nette, enracinée dans la grande tradition : une guitare, une basse et une batterie. Le son global est sec et nerveux et leur allure parfaitement en phase.

Malgré des rapport régulièrement conflictuels entre les deux formations, les Civils tentent de fusionner avec certains Flash Gordon à partir de l’automne 1980. Sans suite. Et ce jusqu’à ce que Flash Gordon se retrouve une fois de plus sans chanteur.

Au printemps 1981, la proposition ne concerne plus que Didier Poux qui les rejoint par deux fois au moment des rappels (le 8 avril au Studio 80 et le 20 mai au Fossé-des-Treize) au préalable de son débauchage définitif en juin après des tractations interminables.

Le quatuor fait sa première apparition en public le 21 juin 1981, le soir de la victoire des socialistes aux législatives, lors d'une fête organisée pour l’occasion à la salle de la Bourse. Ils s’incrustent aux côtés de l’orchestre de bal et jouent une série de reprises de rock'n'roll.

Maquette enregistrée au studio Week-end, août 1981

Guy Mas capte une maquette au studio Week-end durant le mois d’août. Quatorze titres du répertoire des Civils sur lesquels Didier se greffe dans l’urgence sont enregistrés en un après-midi. Quelques majors sont démarchées sans succès.

Un groupe parisien homonyme émerge dans le circuit. C’est la raison pour laquelle ils apparaissent le 20 septembre au Rose Bonbon à Paris sous le nom de X-Men. On dit que vient se rendre compte. de CBS est également là.

Après le concert, Patrice Fabien est venu nous voir dans les loges avec son poulain Eric Viali des Blessed Virgins qui démarraient fort. Il voulait des groupes français inconnus pour une compilation prévue chez CBS. Son idée était de les convaincre de créer un label uniquement de rock français. Il nous a fait enregistrer une démo brute dans leurs studios que nous n'avons même pas pu écouter. Je ne sais pas ce qui s’est passé chez eux en interne mais il a quitté CBS ensuite pour monter Reflexes. Et comme on n’avait pas de manager, j’imagine qu’on a dû le relancer très mollement et même plutôt pas du tout. La vérité est qu’on était pas vraiment ambitieux et je ne me souviens pas qu’enregistrer un disque ait été longtemps un sujet de préoccupation pour nous.

Raphaël Michot
(Blankets, Horsex, Civils, Têtes Brûlées, Buck Dany’s)

À son retour, le groupe quadrille la région. Sous l’appellation les Païens (La Péniche à Mulhouse) puis à nouveau les Civils (le Club Miramar à Strasbourg) pour finir d’écouler le stock d'affiches. Christian suggère ensuite Têtes Brûlées.

En fin d’année, le groupe lance le fanzine Groupie qui va être l’outil de promotion de la nouvelle scène locale. Pour fêter la sortie du numéro un, un jeu-concours est organisé avec à la clé le 45 tours de Flash Gordon (avant qu’il ne devienne un vrai collector !).

[…] n’attendons pas les hirondelles pour faire un printemps chaud. N’attendons pas d’avoir quarante ans pour avoir des regrets ni d’avoir de l’arthrite pour avoir envie de se remuer. N’attendons pas plus d’aides extérieures pour nous sortir de là : Strasbourg est une ville contrôlée par le manque d’audace et ceinturée par l’ennui. Un impératif : unissons-nous pour frapper fort. Un mot d’ordre : agir. Choisissez votre camp, nous avons crée le nôtre. 1982 sera l'année de l’action.

Groupie numéro 1

L’édito de ce premier numéro est un véritable manifeste contre l’immobilisme avec la volonté d’unir les efforts, de créer quelque chose de plus durable et ne pas réitérer le bilan des , des Horsex ou encore celui, guère plus enviable, de Flash Gordon.

Le printemps est effectivement chaud, et surtout rock, avec le festival du même nom organisé par Sanglot Production le 20 mars 1982 à Neudorf. Une cassette qui compile les principaux groupes du moment est à ce moment-là disponible par correspondance via le fanzine.

Extrait de la cassette « Groupie », printemps 1982

Les Têtes Brûlées y figurent avec Kung Fu Beach enregistré dans le studio des Drinks. C’est un idéal croisement entre l’esprit rock et la sophistication pop, servit par des harmonies vocales judicieuses qui s’incrustent sans conteste dans votre tête pour ne plus la quitter.

Sylvie Demange les convoque pour une destinée à son émission . Parmi les chansons enregistrées, Joe Macaque est la première composée depuis l’arrivée de Didier et la seule qui est le fruit d’une véritable collaboration entre ce dernier et Raphaël.

Session FR3, printemps 1982

Pas de nouvelles, bonnes nouvelles reflète un certain malaise existentiel : Et voilà le succès, ils sont si fatigués de s’être battus pendant des années et c'est juste au moment où ils pouvaient parler qu’ils n’ont plus rien à dire.

qui vit maintenant à Barcelone les invite à jouer au festival du salon Cibeles ainsi que pour quatre autres dates avec dont il est le leader. On les retrouve ensuite au festival Rock dans la ville le 24 juin et en première partie de Little Bob Story en septembre.

Maquette enregistrée au studio Week-end, septembre 1982

À la rentrée, le groupe retourne chez Guy Mas pour enregistrer une nouvelle série de titres dont le fabuleux Je vais déclencher cette bombe ― une adaptation de l’m Not Like Everybody Else des Kinks ― qui raconte l’histoire d’un président prêt à appuyer sur le bouton rouge.

C’est la troisième fois que ce titre est enregistré. Le texte en français est habile, les sonorités anxieuses et le traitement reggatta ponctuée par un harmonica gorgé d’écho apporte une certaine profondeur. On jurerait ne l’avoir jamais entendue dans sa version originale !

La première version date de début 1979 sur le deuxième enregistrement des Horsex. Cette chanson a été au répertoire de TOUS les concerts des Horsex, Civils et Têtes Brûlées. A la fin on savait la jouer !

Raphaël Michot
(Blankets, Horsex, Civils, Têtes Brûlées, Buck Dany’s)

Cette nouvelle maquette définie les vraies possibilités du groupe et montre une diversité d’inspiration très heureuse, avec un attachement de plus en plus évident pour la mélodie comme le démontre le sautillant Paris en hivers.

Maquette enregistrée au studio Week-end, septembre 1982

Ici, les Têtes Brûlées maîtrise bien leur électricité et savent placer ça et là les petits moments parfaits qui distinguent une bonne chanson de la masse. Dès l’intro jusqu’à la chute, en passant par le pont, on a affaire à une petite merveille qui fonctionne parfaitement.

Malgré le manque de moyens évident, tout se passe comme s’ils venaient subitement de se procurer la télévision en couleur. Ils tripotent les boutons, essaient des trucs, et réussissent du premier coup à obtenir une image nette, contrastée, parfaite, sans regarder la notice.

Vidéo clip tourné au Kiproko, 1982

J’abandonne fait l'objet d’un clip vidéo tourné par Georges Pasquier au Kiproko qui est diffusé dans l'émission Alsace soir le 13 novembre 1982. Un montage différent est destiné à Decibel de Jean-loup Janeir sur FR3 National. Les punks strasbourgeois font de la figuration.

Jean François avait été prié d’aller chez le coiffeur pour le tournage du clip, sauf que problèmo, du pognon il en avait zéro. Donc, la veille au soir, ça pue l’engueulade costaude pour lui, alors dans le désespoir, il nous demande à Dakota et moi de lui couper les tifs ! On se marre comme des hyènes mais finalement on accepte, on chope un petit saladier et on part pour une coupe de Playmobil, on tire à pile ou face qui prend le premier les ciseaux, et là, pile au moment ou je m’approche dans des hoquets de rire (le gazon qui rend con !), la porte de l’appartement s’ouvre sur Nadège accompagnée d'une copine alors en école de coiffure. Si cette demoiselle oubliée de l’histoire, n’était pas venue ce soir là, je pense que ce clip aurait eu un batteur avec une sacrée drôle de gueule ;!

Nicolas Gamelin
(Buck Dany’s)

Un après-midi de désœuvrement, Raphaël s’enferme dans une pièce avec Tony Tupoleff (ex Satanic, Bismuss, Flash Gordon, Drinks) et réalise un vieux fantasme : jouer de la basse. Les Buck Danny’s sont nés. Avec l’idée de faire du surf-reggae. Sans guitare !

Le festival Jeunes & Bruyants organisé par Sanglot Production a lieu le 13 novembre, à Cronenbourg. À l’affiche : les Drinks, les Buck Danny’s (leur premier concert !), les Têtes Brûlées et Diam’s de Toulouse. Classé X, un autre groupe toulousain, s’est désisté.

Groupie avait raison, 1982 est l’année de l’action et se clôt de belle manière avec la création du Bandit sous la houlette de Éric Garnier (ex Bismuss) et de Christian Schall. Au début de 1983, Strasbourg dispose enfin d’un VRAI club rock situé au numéro 22 de la rue de Bouxwiller.

Paradoxalement, c’est un peu le début de la fin pour les Têtes Brûlées. Christian et Didier se concentrent principalement sur le club, Raphaël sur les Buck Danny’s et Jean-François est occupé avec le Mur qu’il vient de rejoindre.

Parmi les concerts de 1983 on retiens surtout ceux au Bandit (le 20 février et le 6 mai) et celui de la place des Halles le 21 juin avec les Drinks. Dès l’automne, le groupe cesse de répéter et ne se réunit que pour la compilation Fire! Rockele produite par .

Après avoir vu le décollage invraisemblable de Telephone et la dégringolade de tous les autres, on savait ce qui nous restait à espérer. La compilation a été enregistrée alors que les Têtes Brûlées n’existaient déjà plus, mais Guy Wach de Radio France Alsace disait que le disque ne sortirait que si on était dessus et comme on n’avait laissé aucune trace, on y est allé.

Raphaël Michot
(Blankets, Horsex, Civils, Têtes Brûlées, Buck Dany’s)
Extrait de la compilation « Fire! Rockele », 1984

Les deux titres qui y figurent ont fière allure. Les paroles de Les filles d'aujourd’hui sont réécrites et deviennent Ma fille n'est pas jolie. Le riff de Voilà l’amour est hargneux, le couplet est incisif et le refrain s’imprime vite dans le tréfonds de votre boîte crânienne.

Le groupe s’est laissé convaincre d’entrer en studio dans un dernier sursaut d’orgueil même si la distribution trop confidentielle de la compilation qui regroupe les têtes d’affiches strasbourgeoises du moment ne donne pas l’espoir de voir venir des jours meilleurs.

Après un dernier concert à Tagolsheim dans le Haut-Rhin en février 1984, les Têtes Brûlées jettent définitivement l’éponge. Ont-ils été trop laxistes ? Pas vraiment ambitieux ? Ou bien le hasard n’était-il pas content une fois de plus ? Nul ne le sait !