Ness and the Nessies

Entre 1977 et 1983, seule une poignée de groupes strasbourgeois a l’opportunité de concrétiser ses efforts par la publication d’un 45 tours. Les plus ambitieux ? On peut le penser. Ce qui est certain, c’est que les petits monstres du rock aquatique, eux, savent ce que nager dans l’huile du travail forcené veut dire…

L'auteur de l'article  Eric T. Lurickclassé dans Groupes de lecture
Photo de presse de Ness and the Nessies
Photo : collection personelle

1977. Dominique Daumann et Cyril Prieur se lient d’amitié durant leur année de troisième au collège privé la Providence. Ils ont 15 ans et partagent la même passion pour le rock’n’roll. Dominique veut chanter et Cyril prend des cours de basse.

Leur rencontre avec Michel Juteau à la sortie de l’école s’avère décisive. Bien qu’un peu plus jeune qu’eux, celui-ci est déjà très doué pour la guitare et le piano. Un groupe est rapidement mis sur pied avec Marc Ritt à la batterie.

Un soir, alors qu’on se promenaient sur les bords du Rhin, on a entendu un gros plouf, et un monstre, un cousin de celui du Loch Ness nous a déclaré : à partir de maintenant vous vous appellerez Ness and the Nessies

Ness and the Nessies
(Dans Groupie no 2)

Les répétitions ont lieu dans une cave insalubre de la MJC de Neudorf. Un mouvement infime peut déplacer une tonne de poussière. Avant même d’avoir joué la moindre note de musique, il faut déployer une formidable énergie.

À l’intérieur, la pluie passait, et quand il gelait, la glace se formait à cause des trous d’aération. La cave était un vrai dépotoir. Nous avions fabriqué un souterrain sous cet amas de choses hétéroclites. Le bric-à-brac protégeais le matériel des intempéries et des cambrioleurs. Heureusement ! Parce que la porte d’accès était toujours cassée et que nous devions la faire tenir avec du fil de fer.

Dominique Daumann
(Ness & the Nessies, Résonance, Asilah)

Le saxophoniste Pascal Kempf complète la formation en septembre 1978. L’objectif est la création d’un répertoire solide et varié. À la force du poignet, au long de répétitions acharnées, une liste de cinquante titres prend forme.

Les fans de Ness and the Nessies
Le soutien indéfectible d’un public jeune

Le 31 mars 1979, Ness and the Nessies se produisent pour la première fois dans le cadre d’une soirée privée organisée par des étudiants franco-allemands au cercle Bernanos à l’Esplanade. Dès le début ils bénéficient du soutien indéfectible d’un public jeune qui se reconnait en eux.

Le concert du cercle Bernanos était vraiment fun : je me souviens de Cyril qui s’allongeait par terre pour jouer de la basse couché, avec Dominique qui venait lui glisser un coussin sous la tête ! En plus, pour un concert dans le fief de Nec+Ultra et des Horsex, c’était un peu la quatrième dimension, avec un public très largement constitué de petites jeunes filles sagement amenées par leurs parents en voiture.

Raphaël Michot
(Blankets, Horsex, Civils, Têtes Brûlées, Buck Dany’s)

Des concerts sont organisées dans des lycées ou des établissements universitaires. Le déclic se fait avec un public dont le nombre et l’âge enfonce le néo-intellectualisme qui voudrait s’efforcer de le faire entrer dans des eighties aussi mornes que ne le furent les seventies.

Durant l’été 1979 le groupe s’isole pendant un mois dans une maison à Saint-Yrieix-la-Perche, près de Limoges, pour peaufiner le répertoire. C’est l’occasion de donner un concert sur place pour les estivants et la jeunesse locale le 12 juillet.

La volonté de ne pas se laisser enfermer dans un genre bien précis est manifeste. On y décèle déjà l’influence ― encore inédite pour cette génération de groupes de rock français ― du flamenco qui est due à Michel Juteau dont la mère est espagnole.

On avait un look très rock’n’roll fifties et pourtant on jouait beaucoup de compositions qui ne collaient pas avec notre image. Même si on faisait beaucoup de reprises de cette période. Cela a toujours été notre dilemme.

Dominique Daumann
(Ness & the Nessies, Résonance, Asilah)

Tout cela est bien vite balayé par l’enthousiasme que le groupe déploie sur scène. Des titres en cascade, en français, en anglais, parfois en espagnol, sans souffler. En raison de sa moyenne d’âge, le plus jeune groupe de rock en France a aussi trouvé son image de marque.

Cet amalgame d’influences constitue un univers propre dans lequel Dominique Daumann est Dom ; Michel Juteau, Stu (en hommage au premier bassiste des Beatles) ; Cyril Prieur, Bill ; Marc Ritt, Marcus ; Pascal Kempf, Charlie.

Il est vite hors de question pour eux de se limiter à leur périmètre géographique. C’est avec ambition qu’ils bâtissent une solide réputation, non seulement au-delà des limites régionales mais également hors de l’hexagone. Principalement dans le nord de l’Espagne.

L’agenda des concerts vient le rappeler aux perplexes : l’étape initiatique du tremplin du Golf Drouot à Paris, le 1er février 1980, précède de peu leur premier concert en Espagne, au Pancho Club de Villafranca, le 17 avril 1980.

C’était toute une aventure ! On est parti en train et ensuite un ami de ma famille nous a conduit au Golf-Drouot parce que, bien sûr, aucun de nous n’avait le permis de conduire. On était à cinq dans une 2 CV ! Les trois groupes devant nous étaient très bons mais on a quand même réussi à finir deuxième. Au retour c’était l’euphorie !

Dominique Daumann
(Ness & the Nessies, Résonance, Asilah)

Une première maquette de deux titres (Sweet Summer et Loving You Madly) est enregistrée à l’Amphi 6 dans des conditions déplorables en juin 1980. Les dates se suivent, Ils ont pleins de projets et envisagent rapidement de sortir un disque.

En juillet, ils reprennent la route pour deux mois et se lancent dans une grande tournée dans le sud de la France ainsi qu’en Espagne. De septembre à janvier 1981 ils écument les salles de Strasbourg et sa région. Une belle manière de se préparer avant d’entrer en studio en février.

La journée, ils enregistrent en plein cœur de Pigalle. Le soir, trois d’entre eux dorment à Evry chez des religieuses à qui ils louent une chambre. Michel Juteau et Pascal Kempf n’ont pas eu l’autorisation de leurs parents pour rester sur place.

Recto du 45 tours de Ness and the Nessies
Verso du 45 tours de Ness and the Nessies
Insert du 45 tours de Ness and the Nessies
« Nessie’s Rock » / « Sixties Hit », 45 tours, Omega Studio, OM 678, 1981

Deux titres sont sélectionnés pour la réalisation d’un 45 tours confiée à Oméga Studio. Le disque est publié en mai 1981. La pochette représente Nessie le monstre du Loch Ness. A l’intérieur on trouve un insert sur lequel sont reproduites les paroles des chansons.

La distribution reste limitée. La popularité du groupe permet cependant une bonne promotion du 45 tours, tant à la radio que dans la presse : 700 exemplaires sont vendus en 3 semaines.

Philippe Manœuvre chronique le disque pour Rock & Folk et souligne le potentiel du groupe en dépit du manque évident de moyens. Les deux titres jouent la carte de la fraîcheur et montrent comment on réinvesti une forme éprouvée pour y laisser épanouir sa manière.

Nessie’s Rock, est un titre accrocheur, au rythme soutenu, avec des breaks rock’n’roll fifties appuyés par les hiccups de Dominique. Ambiance sonore, mélodie, refrain soutenu, retournements de riffs de saxophone en sont les atouts répartis avec un équilibre choisi.

Sixties Hit débute comme on peut s’y attendre puis développe un climat assez envoutant qui se révèle être un pur produit de 1981, absorbant l’air du temps. Le saxophone se chargeant de faire passer quelques bouffées de chaleur sur la rectitude rythmique.

Au Fossé-des-Treize à Strasbourg le 3 avril 1982

Le rythme frénétique des concerts reprend sur l’ensemble de la région. Ils jouent en première partie d’Alain Bashung lors de son passage au Palais des Fêtes de Strasbourg. En juillet ils sont sur les routes en Touraine, en Vendée et dans le nord de l’Espagne.

Là-bas, ils figurent à l’affiche d’un festival avec les anglais de The Beat. Une partie du groupe attend Marc et Pascal qui sont censés venir les rejoindre en train. Hélas, ils ne viendront jamais ! C’est en trio que l’engagement est assumé devant 8000 personnes.

Une péripétie qui suscite le recrutement de nouveaux musiciens : Paul Glaeser et Vincent Lauth en alternance à la batterie et l’allemand Gunnar Sommer au saxophone. Une annonce parue dans Libération attire leur attention : manageur cherche groupes de rock.

Ness and the Nessies signent le 25 février 1982 un contrat de management avec Denis Hustaix. Celui-ci engage immédiatement des frais pour renouveler le matériel et aller enregistrer au Studio de la Grande Armée à Paris avec un réalisateur qui avait travaillé avec Nino Ferrer.

Denis Hustaix a toujours été un mystère pour moi parce qu’il a engagé des frais faramineux dans l’équipement et dans un studio qui a l’époque coûtait déjà une fortune. Il avait des contacts, parait-il, dans certaines maisons de disques chez qui il devait négocier cette bande. Mais cela n’a jamais rien donné. Nous, on attendait à Strasbourg et on ne comprenait pas qu’il n’y ait pas de suite au vu de l’argent engagé. Cyril et le nouveau batteur sont allés à Paris pour le voir et ont même dormi sur le pas de sa porte parce qu’ils n’avaient pas d’argent. Ils sont revenus avec des promesses. Que des promesses !

Dominique Daumann
(Ness & the Nessies, Résonance, Asilah)

Le groupe part pour une tournée d’une dizaine de dates mais l’ambiance se dégrade au fur et à mesure. Une rivalité entre Dominique et Michel monte à la surface, le nouveau batteur ne fait pas l’affaire et, au milieu de tout ça, Cyril tente d’arranger les choses

Ness and the Nessies en concert au casino de Biarritz
Le casino de Biarritz

Parmi les concert importants de cette tournée on retient particulièrement le casino de Biarritz le 12 août 1982. Les tensions internes restent vives. Les divergences musicales évidentes. Au retour on suggère à Dominique de partir. Ce qu’il fait de bonne grâce.

Avec l’arrivée de Étienne Auberger le groupe se rebaptise Loch Ness en octobre 1982. Sous cette forme ils vont enregistrer deux 45 tours& : / Laisse moi être jeune et con en 1983 et / Le goût des baisers en 1984. Mais ceci est une autre histoire…

En quatre ans, Ness and the Nessies ont su faire passer un souffle personnel sans se complaire dans la rigueur tranquille de l’underground. La démarche est nettement plus chaleureuse. Les aspérités sont rognées et l’on se voit gratifié d’un rock riche, séduisant et contrasté.

Les premiers d’une nouvelle fournée par ici de groupes décomplexés. Par leurs idées, leur volonté d’actualité et d’originalité, ils ont contribué à affirmer la permanence du phénomène rock français en gommant l’aspect ghetto résigné.


Composition du groupe

  • Ness and the Nessies (1)
    • Dominique Daumann Dom chant
    • Michel Juteau Miguel guitare
    • Cyril Prieur Bill Basse
    • Marc Ritt Marcus batterie
    • Pascal Kempf Charly saxophone
  • Ness and the Nessies (2)
    • Dominique Daumann Dom chant
    • Michel Juteau Miguel guitare
    • Cyril Prieur Bill Basse
    • Paul Glaeser batterie
    • Gunnar Sommer saxophone

Discographie

La pochette du 45 tours « Nessie's Rock »
SP, Omega Studio, OM 678, 1981
La pochette du CD « The Best of 1979-1982 »
CD, Totem Music, RC 920, 1996

Audio

Faces A et B du 45 tours Nessie’s Rock (1981)

Vidéos

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