Deux kids qui n’en sont bientôt plus, se refugient dans les slogans de l’internationale punk inscrits au pochoir sur leurs chemises en espérant se débarrasser du goût d’amertume qui leur vient de la vie quotidienne.
L’action étant encore le meilleur remède contre l’ennui et la grisaille qui les ronge, Gilles et Ronan fomentent Eau Non Potable. C’est leur groupe punk. Les badges, clament-ils avec défi, sont fournis par l’état parce qu’ils les arrachent dans les WC des trains
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Au début de 1981, Eau Non Potable devient Toxique (et non pas les Toxiques comme on les appelle souvent) avec l’ajout de Martine Koeffel dite Loukoum (chant), Philippe Lehmann dit Le chien (synthétiseur) et Florent (batterie).
Après deux mois de répétitions le groupe se retrouve sur la scène d’une petite salle au milieu des blocs de la cité Atome à Bischeim. Toute une troupe se déplace dans la banlieue nord de Strasbourg le samedi 4 avril 1981.
Tout le Lion Rouge était là ! C’était assez dingue. Surtout avec Le Chien qui triturait ses manettes avec un son psyché-indus qui recouvrait tout par moment. Ce gars-là était véritablement frappé !
Au centre des regards il y a Loukoum. Léopard moulé au corps, cheveux décolorés, voix rauque de féline. À la scène comme à la ville elle passe instantanément du ronronnement au coup de griffe. Impossible pour elle de passer inaperçue !
On y était allé avec Didier Poux et on avait surtout découvert Loukoum… On faisait des allers-retours pour acheter des bières pas loin, et il devait y avoir un fleuriste à côté parce qu’on a acheté une rose (une seule, y faut quand même pas déconner) pour elle. De retour dans la salle, Didier s’est senti con avec cette rose et à commencé à se dégonfler, alors j’ai ouvert une bière, j’ai mis la rose dedans, coincé le tout dans les mains de Didier et on est allé lui offrir ça pendant qu’elle chantait. On devait passer pour de vrais crétins, mais on était assez contents de nous…
Toxique n’est pas rôdé, loin de là, mais compense en jouant la carte du volume. Tout à fond ! Ils ont une image, l’attitude, et personne ne se doute encore que ce concert chaotique à plus d’un titre restera le seul qu’ils donneront.
Pour couronner le tout, Philippe avait des soucis avec son synthé et donc un bruit de fond pas possible ! A la fin, Didier Poux m’a dit que ça lui rappelait Metal Urbain ! Il y avait beaucoup de monde et pas que des cools puisque ma basse avait disparu.
A la suite de ce premier essai, Loukoum file vers d’autres horizons. Elle réapparaitra avec la première mouture de ’A’ Bomb au mois de mai 1982 pour une session FR3 de six titres. Florent, le batteur, annonce également à ses camarades qu’il s’en va.
Septembre 1981 voit l’arrivée de Marcel derrière les fûts et surtout celle de Arnaud dit Renégat au chant. En juin 1982, le groupe redistribue complètement les rôles : Arnaud (chant et guitare), Gilles (basse) et Ronan (batterie).
Les Dernières Nouvelles d’Alsace consacrent un article en pleine page à Toxique et sa clique le 30 juin 1982 en mettant l’accent sur le phénomène de société plutôt que sur le groupe et posent cette question : les punks dérangent-ils encore ?
Nous comptions parmi les tous premiers Ronan et moi. Nous puisions tout ce que nous pouvions trouver depuis l’Angleterre, sans nul rapport avec ce qui existait en France, pour alimenter notre crise de pré ados. Quand nous avons décidé de commencer le groupe, je crois aussi que l’on s’est hâté un peu trop vite pour le choix des autres. Des mecs avec leur déguisements, mais sans aucune autre conviction que celle de devenir leader ou quelque chose comme çà, qui se sont plus ou moins servi du groupe pour voir leur bobine dans le journal, comme tremplin, et nous tourner le dos en nous ignorant par la suite. Après le bla-bla journalistique ou la pure malveillance dont on a fait l’objet, je crois surtout qu’on faisait peur. Une espèce de miroir. Quand tu déranges et que tu es jeune, on fait tout pour te faire disparaître.
Au-delà de la merveilleuse et aveuglante rampe de spots sous laquelle gisent les illusions, avec ce que cela suppose d’âpreté et de découragement, la fin de Toxique au début de 1983 sonne aussi le glas d’une ingénuité, d’un élan de rébellion lié au rock local depuis 1977.