Peu après son arrivée à Strasbourg, Claude Prat qui est originaire de Toulouse rencontre Philippe Bodet et Dominique Glad. Durant l'automne 1981, deux projets différents avec ces derniers sont en gestation. Claude tente la conciliation avec ses nouveaux amis.
Les aspirations musicales sont brièvement jointes entre Claude Prat et Dominique Glad aux guitares, Philippe Bodet à la basse et Marianne Sezsny à la batterie. Ils ont déjà un nom : les Imposteurs. Il reste à trouver le chanteur idéal.
Pour Philippe, ce devrait être une chanteuse, et plus précisément Martine Manzano qui est en rupture avec les Horsex. Pour Dominique, s’il est d'accord sur le principe d’une chanteuse, préfère Martine Koeffel alias Loukoum en provenance de Toxique.
J’étais en contact avec Philippe de l’Oreille d’Or, il voulait monter un groupe avec moi, Marianne et Martine au chant, mais comme j’étais à la fac avec Dominique et que lui aussi avait un projet, j’ai du faire un choix. A un moment, je crois très court, Dominique était d’accord, et réciproquement, d’associer Philippe, mais tout à capoté. Et là Philippe a laissé tomber quand il a vu que Martine n’avait pas sa place.
Philippe n’est pas un mod, et pour couronner le tout, on ne connait que la dégaine de ses partenaires ! Dans le fanzine Groupie no 2 : […] les mods de Strasbourg, n’ont pas tenu l’hiver (des problèmes de scooter les gars ?). Et pourtant ils avaient de magnifiques parkas…
Fini les Imposteurs. Dominique passe à la basse et affiche clairement ses intentions en référence à une chanson de The Jam (’A’ Bomb in Wardour Street). Dans Groupie no 3 : […] les mods ont tenu l’hiver. Ils s'appellent ’A’ Bomb et cherchent un local rue Wardour…
Sylvie Demange invite le quatuor à enregistrer une session FR3 destinée à être diffusée dans son émission sur Radio France Alsace le 13 mai 1982. Six titres sont mis en boîte parmi lesquels on repère instantanément Capitale Européenne.
Les paroles sont en français (Capitale européenne, c’est le prétexte invoqué
) et dénoncent le rouleau compresseur institutionnel local. Le groupe dépense toute son énergie pour sauter dans le dernier wagon du revival mod. Un parallèle avec les sautillantes Mo-dettes est évident.
Bien que l’inexpérience des quatre saute aux oreilles, Loukoum a déjà cette façon d'enrober de sa gouaille naturelle tout les titres avec sa voix accrocheuse, bagarreuse. Elle sait, elle, qu’elle est en train de chanter du rock et pas autre chose.
Sur la foi de cette maquette, ’A’ Bomb décroche un concert au Marcaire à Munster le 27 juin. C'est une discothèque haut-rhinoise réputée dont le disc-jockey, Norbert Sparrow, sévit aussi au Studio 80 à Strasbourg. Le groupe se déplace le 7 mai à Colmar pour la promotion.
’A’ Bomb était venu un vendredi pour réaliser une interview live durant l’émission « Pogo » sur Radio Colmar Pulse. Je portais (j’avais 15 ans) des patches punk dont un à l’effigie d’Exploited et quelle fut notre surprise de voir débarquer des mods… j’ai arraché direct mon patch Exploited, le bassiste Dominique commençant à me chauffer. J’avais juste omis un détail : sur la table figurait mes 45 t. dont le fameux « Fuck the Mods » d’Exploited au dessus de la pile. Empoignades, cris, je refusais de voir mon single finir détruit. Heureusement, on a réussi à calmer les ardeurs destructrices de l’ombrageux bassiste de ’A’ Bomb. L’interview s’est ensuite passé correctement.
Au Marcaire, les strasbourgeois et leur entourage prennent un malin plaisir à railler le groupe d’ouverture, Littoral Pirate, qui délivre une pop expérimentale à base de claviers et de magnétophone à bande. De plus leur allure est jugée suspecte.
C’était un peu tendus vers la place Rapp à Colmar, avant le concert. Dominique et Loukoum n’appréciaient pas ma tenue, treillis, teddy et creepers, et pas plus celle des autres mais heureusement notre bassiste était punk. Dans mon souvenir ils ont foiré leur set. On leur avait presque volé le show, avec l’excuse que la majorité de la salle venait de nos terres.
’A’ Bomb se produit billes en tête devant la clientèle du dimanche soir. Après leur passage, Arnaud (Toxique, Les Incorruptibles) à la guitare et une partie des Têtes Brûlées investissent la scène pour une reprise de Born To Lose des Heartbreakers.
Dominique, qui voulait casser la baraque, avait du prendre trop de speed ce jour-là et tout le monde essayait de le suivre. Il accélérait le tempo de tous les morceaux. Déjà qu’ils étaient formatés courts, le set a été expédié à un train d’enfer. Ensuite, Dominique nous a fait le plan de piquer deux pieds de micro au sonorisateur de la soirée. Il était tout content de son exploit en revenant à Strasbourg. Bon après ça, on était grillés dans tout le coin de Colmar.
Les connections que Claude garde dans sa ville d'origine lui permettent de décrocher un concert dans la ville rose durant l’été. Le festival en plein air Géant Rock (situé sur le parking d'un Géant Casino) est organisé par la radio locale FMR. En tête d’affiche : Orchestre Rouge.
Comme le groupe est ajouté à la programmation au dernier moment il n’est plus possible de le faire figurer sur les affiches. La veille, ils profitent de leur temps libre pour préparer leur concert une dernière fois dans l’antre des héros locaux Diam’s.
Nous avions monté cette radio, FMR, et je me souviens d’avoir rencontré Claude à l’occasion d’une émission plus ou moins consacrée au Who et aux mods en général. C’était vraiment les débuts de la radio et nous avons eu l’opportunité d’organiser un gros concert sur le parking d’un Géant Casino, d’où le nom de « Géant Rock » pour désigner l’évènement. On voulait élargir la programmation et Claude nous avait parlé de ’A’ Bomb. Une association avec qui on collaborait a aussi rajouté un groupe à la dernière minute ce qui fait que le timing était assez serré. C’est comme cela qu’ils se sont retrouvés à ne jouer qu’une demi-heure, mais devant beaucoup de monde. Je me souviens d’avoir hébergé la chanteuse et le bassiste et qu’on n'a pas dormi pendant trois jours et trois nuits, mais alors pas du tout… Au moment du concert, il y avait la moitié du groupe qui était perchée et l’autre qui avait dormi chez les parents de Claude et qui était beaucoup plus calme… Il y a eu un peu de tension entre eux, je crois !
Durant le retour, les relations s’enveniment. Surtout entre les deux filles. La cohabitation est de plus en plus difficile et la séparation devient inévitable. Les deux couples vont vite décider de prendre des chemins séparés.
Tout en se gargarisant provisoirement de sixties flamboyantes, en aspirant a engendrer des classiques instantanés, ’A’ Bomb se cherche et est en quête de l’aptitude à combler les besoins d’une nouvelle génération. Celle pour qui le punk avait violemment dégagé la place.
À suivre…