Bismuss

Une des grandes contradictions du punk, qui est pourtant censé représenter l’authenticité absolue, réside dans le fait que ses musiciens se choisissent des pseudonymes qui suggèrent fortement l’artificiel. Bismuss emprunte le rite de passage et connait la proverbiale épiphanie…

L'auteur de l'article  Eric T. Lurickclassé dans Groupes de lecture
Photo : collection personelle

1977. Le punk titille l’imaginaire d’une poignée de lycéens strasbourgeois qui en profitent pour s’encanailler à moindre frais avec qui est essentiellement le prétexte à une vie de patachons sans véritable réalité musicale.

Devenu Bismuss ― d’après l’élément chimique bismuth ― depuis l’arrivée de « Émile Rat » à la guitare, le groupe compte aussi « Georges » au chant, « Grimace » à la guitare et le facétieux « Fuck Off » à la batterie qui opte vite pour « Tony Gencil » ou « Tony Tupoleff » selon les jours.

Le quartette répète pendant quelques temps dans la cave d’un bar à Neudorf puis investit celle d’un restaurant situé dans la rue des Frères. Little Baby and his Blankets se font la main au même endroit et partagent les frais de location.

Le loyer était de 400 F et c’était plutôt cher pour l'époque. Nous l’avons partagé avec les Blankets mais après quelques semaines on s’est taillé assez rapidement. Dans un carnet de l’époque j’ai noté : Ça sent le salpêtre, la bière et la clope froide. Les cordes de grattes sont poisseuses à cause de l’humidité. Des gars viennent et demandent s’ils peuvent jouer. On ne peut rien laisser ici. Ça caille. Bref, visiblement, après l’enthousiasme du début, l’endroit est rapidement devenu un squat.

Christian Bartsch
(Bismuss, Flash Gordon)

Retour à la case départ. Sans local et sans équipement, Bismuss est confronté à un autre enjeu prégnant : les vacances d’été. Georges et Grimace en profitent pour s’éclipser. La pilule est encore plus amère et difficile à avaler.

Trois mois de désœuvrement plus tard, Émile et Tony reprennent l’affaire en main en attendant des jours meilleurs. Didier Poux embarque dans le projet et démontre d’emblée une efficacité particulière avec ses parties de guitares agiles et acérées.

Benjamin Théoval qui cherche un groupe approprié pour une première partie de Starshooter contacte la bande. Il ne reste plus qu’à trouver un chanteur, un bassiste, un équipement décent et suffisament de chansons à jouer.

Yves « Jimmy Religion » Martin qui avait trimballé sa guitare avec Little Baby and his Blankets est pressenti pour prendre le micro. Les premières répétitions confirment sa gouaille et son sens de la provocation. Françis, un bassiste nancéen, viendra filer un coup de main le jour du concert.

Le 10 novembre 1978 à la salle de la Bourse, Bismuss peut arguer d’un petit succès en ouverture de Starshooter et se constitue un soutien important dans les premiers rangs qui sont principalement composés de leurs proches.

Le répertoire comprends en tout et pour tout cinq chansons dont Blitz et Danger. On distingue également la reprise de Mongoloïd de Devo. La série est jouée une seconde fois pour combler le temps qui leur est imparti.

Le lendemain, Françis retourne à Nancy. Quelques peu frustrés par la situation, les acolytes d’Émile ― le talent le plus versatile du lot ― lui suggèrent fortement de passer à la basse. Une idée qui ne le séduit pas vraiment et qui mettra encore du temps à germer.

Le concert suivant, au Grenier près des Ponts-Couverts le 27 janvier 1979, se solde par l’arrivée des forces de l’ordre. Motif : tapage nocturne. Le soir même, les Horsex font leur première apparition en public en première partie de Mash au Fossé-des-Treize.

Dès qu’on a fini de jouer, on a filé au concert de Bismuss où on a plus ou moins pris la scène d’assaut pour jouer à notre tour. Ca devait être un sacré bordel : Martine et moi avions sifflé une bouteille de téquila avant de monter sur scène ― c’était notre premier concert contrairement à Christian et Jacques et on était mort de trouille. Les Bismuss étaient moyennement enchantés de se faire parasiter par des excités ivre morts, ah-ah-ah ! Les deux groupes ont toujours eu des rapports en dents de scies. À part ça, tout le monde s’est rincé l’oeil : Martine avait explosé la couture de l’entre-jambe de son pantalon au Fossé-des-treize et chantait carrément la culotte à l’air ! Ça nous a ramené pas mal de monde aux concerts suivants.

Raphaël Michot
(Blankets, Horsex, Civils, Têtes Brûlées, Buck Dany’s)

La suite ? Émile finit par admettre que s’il faut un bassiste il ferait bien de s’y mettre soi-même et acquiert une basse Fender Mustang. Erick Assani (Themrock, XYZ, Les Horsex) le remplace temporairement pendant ses obligations militaires.

Quelques dates suivent encore. En particulier le 10 janvier 1979 (avec Erick) et le 12 mai 1979 (avec Émile). L’histoire a malgré tout un post-scriptum. Bismuss devient Flash Gordon à la fin de l'année et part pour de nouvelles aventures qui déboucheront sur un crépitant 45 tours en 1981.