Dix neuf cent soixante dix sept. On l'aura compris : le punk guette et irradie. Thierry Lefèvre, selon l'état-civil, plonge dedans. Une année qu'il gardera tatouée sur son avant bras comme un soldat arbore une médaille.
C'est une époque à singles… Pistols, Clash, Jam et le reste. Ou du mineur, façon Jolt ou Cortinas. Un format auxquel il restera fidèle et qu'il écoute, dit-on, avec un vieux Teppaz des années soixante.
Thierry est aux premières loges et quand l'occasion se présente, s'acoquine avec les Blue Caps ou ce qu'il en reste. De la formation initiale dédiée au rock'n'roll des années cinquante ne subsiste que le batteur, Jean-Paul Demeusy.
Avec Thierry pas de revival ni de gomina. S'il faut jouer C'mon Everybody ce sera à la manière de Sid Vicious. Point barre. Mais les Blue Caps ne devaient pas durer bien longtemps. Un an tout au plus peut-être ?
Sous Mitterand et Lang, tout explose côté radio et télévision. Les futures radios libres sont en gestation. Une nébuleuse dont on attend… rien de moins que la liberté. Thierry et Jean-Paul foncent sur l'occasion.
Ensemble ou séparément, ils contribuent aux belles heures de RBS (Radio Bienvenue Strasbourg). On se souvient de Juke Box et de Rock Express dont le gimmick d’ouverture (Salut les kids !) annonce les nouveautés du moment.
Cramps, Gun Club, Unknowns ou Dream Syndicate, tout y passe. Présentés avec flegme. Façon amateur. Mais ceci, c'est comme tout le reste à l'antenne : ça se travaille et ça se maîtrise. Alors on le dit sans pitié avec les techniciens.
C'est à un auditeur de la station qui au téléphone fait une sorte de confusion homophonique qu'il doit son surnom. Désormais tout le monde l'appelle Jerry. Et personne ou presque ne se souciera de son vrai prénom.
Avec son blouson en cuir, son jean, ses chaussures plates aux semelles en crêpe épaisses, immuables, on le voit à tous les concerts où il faut être vu. Au Bandit, au Loft ou ailleurs.
Il contribue aux fanzines Fever puis vaguement à Peek-A-Boo avec Jean-Paul Demeusy et Isabelle Valejo. Cette nouvelle association augmentée de deux ex Zaïus donne Minimal Cats en dix neuf cent quatre vingt quatre.
L'orientation est plus moderne, coldabilly disent-ils, et Jerry semble maintenant parfait pour ces eighties dans un duo vocal ambigu avec Isabelle Valejo. Et encore une fois, l'affaire capotera en moins de temps qu'il ne faut pour le dire.
Qu'importe, la radio l'occupe une bonne partie de son temps et sa silhouette sympathique qui fait partie du paysage évoque la sortie du punk, l'excitation de la new wave, un moment de nos vies au bout du compte.
Vers dix neuf cent quatre vingt six, il retrouve la scène avec les Snuff Movies pour un retour aux fondamentaux sous le patronnage des Cramps et des Meteors avec l'aide d'un ex Toxique à la batterie et d'un guitariste esthète.
On se souvient de leur réécriture apocryphe de Harley Davidson de Gainsbourg pour Brigitte Bardot : Je n'reconnais plus personne après trois verres d'alcool
que Jerry chante avec un air moqueur et malicieux.
Mais au début des années quatre vingt dix, tout se casse une fois encore. On le croise dans le sillage des Screaming Kids qu'il soutient ardamment en tant que membre du jury des présélections du Printemps de Bourges.
Le monde est en train de changer. Comme beaucoup dont l'image est accolée aux années quatre vingt, Jerry finit par être démodé et quitte Strasbourg par nécessité – ou pour un coup de cœur. Sans vraiment donner de nouvelles.
Le voilà déjà un souvenir qui resurgira bien plus tard avec les réseaux sociaux. On ne peut que évoquer le fan. Un fan éternel, pétri d'enthousiasme. Un punk dans l'âme mais un esprit très sixties finalement.
Jerry est décédé le 31 décembre 2024 à Bar-le-Duc. Il avait 65 ans.