Dix neuf cent soixante dix sept. Voici la nouvelle vague. Et cette fois-ci on veut y croire. Le rock français n’existe toujours pas. C’est une chimère qu’il vaut mieux laisser sur le bas-côté. Mais les groupes sont là. À Strasbourg comme ailleurs.
Attention, il y en a peu, la horde est mince, mais ceux-là font déjà du bruit. Ils s’appellent Dustbeans, Bismuss, Horsex. Ils ont vaguement assimilé l’essentiel, en ont fait un bagage, l’ont mis dans la malle arrière et ont claqué la portière.
Au lieu de rester en plan dans le garage, ils appuient sur le champignon et jettent des clins d’œil au rétroviseur. Ils ont l’air d’y croire ou au moins de s’amuser.
À Paris, les groupes, les labels indépendants, les fanzines et les lieux de concerts commencent à fleurir. Il n’en va pas de même ici. Trouver un endroit pour répéter est déjà un véritable casse-tête.
Idem pour les concerts. La première partie d’un groupe connu c’est le privilège des plus chanceux. Les petits festivals organisés par des associations sont rares. Le plus souvent il faut organiser la soirée soi-même dans des lieux de fortune.
La nouvelle vague va ainsi réussir à faire passer l’essentiel de son programme. Surtout, elle déblaye le terrain, réinvente l’innocence, promeut de nouveaux champions. À eux la redoutable responsabilité de rebâtir sur un terrain vierge.
L’attirail punk n’aura finalement été que l’affaire de quelques mois avant que les choses évoluent très vite. L’éthique est restée. Dans le contexte local, un des slogans du mouvement, l’illustre do it yourself, prend ainsi tout son sens.
On peut alors tracer un jeu de piste qui démarrerait au Fossé-des-Treize, bifurquerait vers la discothèque Le Silex, reviendrait vers l’Amphi 7, passerait par le bistrot La Ville de Paris, et finirait au Studio 80
L’exemple d’activisme le plus frappant est celui des Têtes Brûlées. Ils éditent le fanzine Groupie ― l’organe officiel du groupe mais aussi celui de toute la nouvelle scène régionale ― puis ouvrent le club rock Le Bandit
À partir de 1983 le public se renouvelle et une nouvelle génération de groupes débarque. Bien plus consciente de ses racines et des possibilités qui lui sont offertes.
Une vraie scène rock ? Il y a juste une nuance entre avoir de bon groupes et avoir une esthétique collective et une identité qui devient plus grande que la somme de ses parties. Strasbourg a cruellement manqué de cela.
En cette période où le rock se résume aux clichés qui le caricaturent, les groupes strasbourgeois de 1977 à 1983 ont pour toujours cette vérité qui fait la différence avant que la réalité ne les reprenne, juste le temps d’un hypothétique 45 tours.
Leur histoire a ses lieux, ses anecdotes, ses relents de malédiction et ses martyrs.
Eric T. Lurick