Tandis ce que le drapeau noir flotte encore sur les microphones, les ondes émises par les radios pirates partent à l’assaut de la bande FM. Traversant la citée de part en part. Il suffit de quelques bouts de ficelles pour défendre la liberté d’expression.
La règle d’or d’une radio pirate de la fin des années 70, c’est le déménagement quasi quotidien car l’état n'oublie jamais d’utiliser les armes qui sont à sa disposition : la poursuite, la saisie et le brouillage. Le système a pourtant une faille.
Les brouilleurs de TDF sont des fonctionnaires. Leur nombre dépend directement du budget qui leur est accordé par la loi de finance. De 23 heures au petit matin, les brouilleurs sont au lit et les pirates en profitent. La bande FM devient un espace de liberté.
Le 10 mai 1981 fait naitre un certains nombres d’espoirs en matière de radiodiffusion. Le projet socialiste prévoit une réforme de l’audio visuel. Une page se tourne. Les radios pirates ont fini d’errer de toit en toit. C’est la fin d’une époque héroïque.
Le 9 novembre 1981 les radios dites libres prennent le relai. Bourrées d’imagination et de décontraction, parfois délirantes, elles nous apportent ce qui nous manquait jusqu'à présent sur les radios périphériques ou d’état en nous abreuvant de musiques nouvelles.
Allumons le poste et balayons les fréquences…
Radio Nuée-Bleue (89.5 mHz)
Très peu de rock sur la radio des Dernières Nouvelles d'Alsace. Deux émissions tout de même : Made in Alsace, le jeudi de 21 h 30 à 22 h 30 et Rockin' Chair le dimanche à 21 h. Un hit-parade régional est diffusé le samedi après-midi.
Canal 15 (91.5 mHz)
Les jeunes gens modernes se doivent de rester à la page en écoutant Canal 15. Initialement Radio Silex, la station est proche de la discothèque du même nom et diffuse uniquement en soirée. Du rock, de la new wave et plus globalement la programmation du disc-jockey de la boîte, Serge Zorn alias Chouchou.
Christophe, le disquaire de Presse-Musique, présente les nouveautés qui comptent le dimanche soir de 22 h à 24 h. Le mercredi, Bad Boys de Jean-Daniel ne jure que par le rock pur et dur à base de losers magnifiques. Philippe avec sa Musical Box défriche l’underground pour les plus esthètes.
Radio Bienvenue (91.9 mHz)
Radio Bienvenue (qui deviendra Radio Bienvenue Strasbourg puis RBS) est une des premières radios associative à émettre dès 1981. La programmation est à l’image de ces années là : beaucoup de débats et d’improvisation entre deux disques punk ou new wave.
Parmi les émissions de rock figurant dans la programmation on peut relever Fréquence rock tous les matins de 8 h à 9 h, Virage le mercredi de 0 h à 3 h, Juke box le samedi de 16 h à 18 h et Comment va l’stress ? le dimanche de 22 h à 24 h.
Impossible de parler de RBS sans parler de Jerry et de son émission Rock Express dont le gimmick d’ouverture (salut les kids
) annonce invariablement les nouveautés du moment qui sont agrémentées de vieillerie (!) comme les Saints, Eddie & The Hot Rods ou les plus obscurs Jolt.
Le bal des schizos est une autre émission incontournable de la station. Animée par Richard Martin elle est diffusée le jeudi puis le samedi de 0 h à 3 h. La programmation musicale est sans concessions. Ultra pointue. Wasted Youth, Cabaret Voltaire, Holger Czukay et de nombreux autres de la même envergure.
Tous les samedi soirs, c’est l’occasion d’écouter les groupes locaux du moment dans le hit-parade régional de 22 h à 23 h. Ce classement établi d’après les votes des auditeurs est digne du Ring Parade de Guy Lux. Il sera par la suite programmé tous les samedi après-midi de 18 h à 20 h.
Radio France Alsace (101.4 mHz)
Quoi ? Une radio d'état ! Oui, car il serait injuste de parler de radio et de rock strasbourgeois sans mentionner Guy Wach et Sylvie Demange qui ont tant fait pour le rock d’ici en faisant découvrir les musiciens du crû avec les sessions FR3.
Alerte !, leur émission qui est présentée en compagnie de Patrick Chevalier, est programmée le mercredi matin de 9 h à 11 h. Sylvie Demange garde par la suite la même formule pour son émission Roctambule tous les 15 jours de 23 h à 24 h.
Radio 104 (104 mHz)
Une programmation rock généraliste, de Police aux Eagles, de Clash à Supertramp, des Pretenders à Phil Collins. Les groupes locaux y trouvent aussi leur place. Une radio décontractée à l’agréable amateurisme qui ne se prend pas vraiment au sérieux.
À ce stade on remarquera que tous ces érudits sont bien souvent aussi musiciens, disc-jockeys, éditeurs de fanzines ou disquaires. Les passerelles sont nombreuses. Il est impossible de citer tout le monde. Quelques noms supplémentaires : Norbert Sparrow, Serge Schmitt, Larry Kirmann.
Un phénomène culturel ? Oui, mais…
Les radios libres nouvellement autorisées s’organisent, créent des régies publicitaires communes et finissent par constituer des réseaux en 1983. Ces réseaux ― initialement non autorisés ― vont se développer au fil des ans.
La bande FM connait un tournant décisif en 1984. La possibilité de transformer les auditeurs en consommateurs attire les financiers de tous bords. Les radios libres cherchent à plaire à leur public mais surtout aux éventuels annonceurs. C’est le virage définitif vers les radios privées.
Inutile de préciser que le rock n’est plus vraiment convié à cette fête.